Compte rendu III: Licence

Contexte : Directrice de l’Unité d’Administration Électronique

Actuellement, nous avons en Tunisie quelques modèles de licences dénotant de l’expérience nationale en la matière, à savoir la licence du portail national et l’Open Tunisian License. Le Ministère de l’Industrie, des Mines et des Énergies Renouvelables a été parmi les précurseurs en développant sa propre licence. Il existe dans le monde des modèles de licence comme le Creative Commons. L’atelier vise à évaluer l’état actuel des licences existantes, les possibilités d’amélioration, les pistes d’homogénéisation. Plusieurs entités n’ont pas encore de référentiel de licence tel que l’Institut National de la Statistique. D’où la nécessité de diagnostiquer le contexte juridique local en s’appuyant sur les études comparatives à l’international.

Importance des licences : Expert international en Open Data

Les licences sont importantes du fait qu’elles constituent le deuxième pilier de l’open data. Les fondements de l’open data sont : premièrement, la disponibilité des données ouvertes techniquement c’est-à-dire publiés sous un format exploitable, ce qui représente l’aspect technique de l’open data, deuxièmement, leur aspect légal, qui repose sur les licences autorisant la réutilisation des données à travers une panoplie de droits. Pourquoi c’est un élément particulièrement important en Tunisie ? Parce qu’aujourd’hui, la loi d’accès à l’information passe totalement sous silence ce qu’on a le droit de faire avec les informations acquises grâce à la dite loi qui énonce les périmètres d’accès mais pas les règles d’usage. Ne pas autoriser ni interdire laisse libre champ d’interprétation et cause un flou juridique. Aucune protection dans un sens ou dans un autre. Et c’est particulièrement essentiel au secteur privé parce que les entreprises privées ne prendront pas le risque d’investir et développer des projets autour de ces données sans avoir la certitude d’accès et de réutilisation. Les médias, les ONG également, n’importe quel organisme responsable ne se risquerait pas à baser ses actions sur des données dont le droit à l’usage est indéterminé.

Qu’est ce qu’une licence ? Expert international en Open Data

Une licence en général englobe 3 dimensions : un droit d’accès, un droit d’utilisation et un droit de partage des données. On peut représenter les licences sous forme d’échelle. Tout en haut de l’échelle c’est les licences à zéro restriction, tout en bas c’est le copyright c’est-à-dire zéro droit sur le contenu, si c’est publié sur un site web on ne peut ni télécharger, ni réutiliser sans l’autorisation préalable de la personne en possession.

En général, le principe du copyright est d’indiquer le propriétaire des données. L’opposé radical du copyright se nomme le domaine public. Et c’est une façon d’inciter à faire tout ce qu’on veut avec une donnée sans aucun droit moral dessus ; pas d’obligation de citer les sources, pas d’obligation de quoique ce soit sur les données. Entre les deux extrêmes, il existe 4 dimensions : la première est l’attribution c’est-à-dire l’obligation ou pas de mentionner l’origine des données (paternité, paternité + version) la deuxième est l’obligation de partage (certaines licences obligent de partager les données selon les mêmes critères, ce qu’on appelle le partage à l’identique), la troisième dimension est l’aspect commercial ou non et ça renvoie au droit ou non de faire du business avec des données. La dernière dimension constitue l’usage non dérivé qui représente le droit ou l’interdiction de modifier des données. Il est possible de mixer ces 4 paramètres, par exemple une licence peut à la fois être non commerciale et à usage non dérivée.


Les licences internationales : Expert international en Open Data

Il y a des organismes qui ont créé des jeux de licence tout prêts – reprenant les éléments cités précédemment – que chaque fournisseur de données pourrait adopter.

Les grandes familles de licence :

  • Creative commons : A la base, ces licences étaient dédiées principalement pour des créateurs de matériel multimédia et ce n’était pas fait à l’origine pour des données publiques ni pour l’open data.
  • Open Data Commons : Jeu de licence créé par la fondation Open Knowledge et dédié aux données uniquement. Ça inclue des licences pour des bases de données, ce qui n’est pas le cas pour Creative Commons qui s’adresse à des éléments individuels.

L’avantage de Creative Commons c’est que c’est beaucoup plus flexible. Un choix considérablement plus large que les licences. Alors que dans Open Data Commons, il n’y a que trois niveaux de licences : une licence pour les bases de données qui se rapproche du partage à l’identique, l’attribution et le domaine public. C’est par conséquent plus limité. De ce fait, beaucoup de pays ont adopté l’échelle Creative Commons du fait de sa flexibilité et ont recommandé des niveaux spécifiques obligatoires pour les données. D’autres pays, comme c’est le cas au Royaume Unis et en France, ont décidé de créer leur propre licence qui est un mix de ces licences. En d’autres termes, ils ont conçu un texte législatif qui reprend des éléments de différentes échelles internationales. En France, il y a la licence ODBL qui s’applique aux bases de données.

Deux alternatives se posent dans sélection de licence : ou bien choisir d’adopter une échelle internationale simple et sans coût avec une limite à la flexibilité imposée par l’échelle ou bien décider d’avoir une approche pays et c’est le choix qu’a fait aujourd’hui la Tunisie.

Cette décision a été prise mais pas formalisée législativement, d’où l’objectif aujourd’hui est d’arriver à trouver la bonne formule pour réglementer cette décision à travers le décret.

En France, la licence d’Etalab est à adopter par défaut pour les jeux de données publiés par tout organisme public. Mais à côté de ça y a un processus inclus dans le décret qui permet l’homologation d’autres licences si l’agence ou le ministère souhaite concevoir sa propre licence. Pour cela, il faut suivre tout un processus d’homologation. Il y a une liste de licences qui sont homologuées par Etalab pour permettre aux organismes qui les ont conçues de les utiliser à la place de la licence française officielle des jeux de données. Il faut justifier le fait que la licence nationale ne convienne pas pour pouvoir accéder au privilège d’une licence homologuée. Par la suite la proposition de licence homologuée doit être validée par le comité de pilotage d’Etalab. Une fois validée, ça devient une exception dans la législation que l’organisme en question est en droit d’utiliser.

Discussion :

Deux questions se sont posées à l’ouverture de la discussion par un membre du projet Cartographie Citoyenne, autour des restrictions. Est-ce qu’une liberté absolue au niveau des licences a un risque sur la politique d’un État ou sur ses données publiques ? Si c’est le cas, quel est ce risque ? L’expert Open Data dit être tenté de répondre par l’affirmative à la première et se réfère au choix du gouvernement américain en la matière qui a opté pour rendre les données de l’État du domaine public. Par conséquent, s’il y a des risques, ils ne doivent pas être si considérables. Selon lui, le plus grand risque dans le basculement vers le domaine public c’est en termes de paternité puisque cette condition n’étant pas réellement restrictive ou limitative de l’usage fait face à l’augmentation des flux et circulation de données qui générerait, sans exigence de paternité, des erreurs d’appréciation quant aux dates de publication etc. Globalement pour l’écosystème, c’est plutôt souhaitable de préserver la paternité et notamment les dates de publication.

La situation actuelle : Expert international en Open Data

Aujourd’hui on observe non seulement une très grande hétérogénéité de licences adoptées dans les portails des différents ministères et organismes mais aussi un manque de cohérence. L’Institut National de la Statistique, le plus gros réservoir de données n’a pas associé de licence à ses jeux de données. Le ministère de la culture avait une licence restreinte aux utilisations non commerciales jusqu’à septembre dernier. Et lors de la discussion avec le ministère, il s’avère que le choix de licence à restriction non commerciale était effectué de manière arbitraire.

Les deux licences tunisiennes sont réciproquement incohérentes, déjà l’OTL dans son texte est incohérent ; le préambule, l’introduction et l’article 3 énoncent des éléments contradictoires. L’introduction favorise la réutilisation non commerciale tandis que l’article 3 casse avec les restrictions non commerciales pour tout autoriser. Aujourd’hui, on est quelque part entre la paternité avec l’équivalent du CCBY de la nomenclature Creative Common et la CCBY NC qui représente la paternité non commerciale. Par contre sur l’OTL, on demande juste de citer la paternité. Si on regarde la licence ouverte des données, il y a non seulement la paternité mais aussi la référence de la date des données. Et on se rapproche, de ce fait, du CCBY. La licence ouverte des données est similaire à celle d’Etalab à la différence près qu’elle ne gère que les jeux de données et exclut de son champ de réglementation les codes sources des logiciels conçus par les agences et gouvernorats et les bases de données.

Les bonnes pratiques : Expert international en Open Data

Ce qu’on recommande aux gouvernements qui veulent mettre en place des licences open data :

  • La simplicité : plus on multiplie les cas d’usage, plus on créé des difficultés de compréhension et plus on a des difficultés de compréhension et moins les utilisateurs seraient enclins à réutiliser les données.
  • Plus le champ d’action est limité, moins l’impact économique et social de l’open data est prouvé. Une restriction à l’usage commercial par exemple dissuade à la création d’entreprises ou de service autour des données. Ce qui impacte largement le résultat économique. Il y a des études qui montrent que les revenus de la vente de données sont des centaines de fois plus faibles que l’impact économique au niveau global de l’open data.
  • L’homogénéité des licences : restreindre le plus possible l’homologation de licences au niveau des agences. Le niveau d’expertise des agences joue un rôle primordial dans le choix d’homologuer ou de s’aligner sur le standard national.
  • La compatibilité avec les licences internationales : si on développe une licence locale, il faut s’assurer qu’il y a une adaptation claire avec les référentiels internationaux afin que tous les acteurs extérieurs pouvant avoir un impact fort sur le pays comprennent la licence en vigueur.

Discussion :

Une question de forme s’est posée de la part du fonctionnaire de la Direction Générale des Réformes Administratives et Prospection sur la langue de conception de la licence : en arabe ou en français ? L’expert Open Data affirme que ça dépend du langage officiel des textes législatifs.

D’autre part, les licences internationales suivent une logique de mise à jour représentée par la succession de versions. Il faut toujours valider non seulement le modèle de licence mais également la version à laquelle on est compatible (exemple : CCBY 2.0 ou CCBY 4.1)

Aujourd’hui 100% des décrets dans le monde mentionnent les licences du fait que c’est l’un des piliers de l’open data. Simplement le continuum regroupe les 2 extrêmes : des pays comme le Rwanda, le Qatar, l’Éthiopie, ont décidé d’inclure une phrase mentionnant que les jeux de données doivent être publiés sous une licence ouverte, à l’opposé on distingue des pays comme la France, le Royaume Unis, les États Unis qui imposent que tous les jeux de données doivent être publiées sous une licence bien définie.

Essayer de comprendre les blocages qu’il peut y avoir chez les agences avec les licences les plus ouvertes possibles aiderait à la prise de décision. Cela dit, pour maximiser l’impact social et économique de l’open data, il faudrait viser les niveaux les plus hauts de l’échelle soit le domaine public, soit la paternité et selon l’avis expert, la paternité a plusieurs avantages pour mesurer l’impact de l’initiative au sein des produits qui se sont générés (médias, chercheurs, secteur privé).

Outre le problème de publication de données en Tunisie, le problème de production de données a été évoqué pour signaler que le choix des licences impacterait forcément les stratégies de production de certaines agences ou ministères. Pour éviter que l’impact soit négatif, le mieux serait de suivre le nombre de partage des jeux de données, de produits dérivés réalisés à partir de ces données. Surtout dans le cadre des problèmes sociaux, économiques, environnementaux, culturels et politiques, la réticence à la production de certaines données à forte sensibilité pourrait s’accroître par l’adoption d’une licence telle que CCBY. En réponse à cette réflexion, l’expert Open Data dit ne pas connaître des expériences de ce type, rappelle que la production des données est très formalisée et régie par un décret ou une cadre juridique bien déterminés et conclut que ce scénario reste logiquement envisageable.

Ce dont il faut vraiment s’assurer selon lui est que l’État soit le propriétaire de ses propres données. Ce qu’on voit dans beaucoup de pays c’est quand cet aspect là n’est pas mentionné dans les contrats publics, là encore on se retrouve dans un vide juridique qui fait que les données générées par les contrats publics rentrent naturellement dans les articles liés à la propriété intellectuelle. Et donc du coup, la tierce partie qui implémente le contrat public se retrouve possesseur des données et n’a aucune contrainte sur leur publication. Il serait intéressant de mentionner que les données publiques générées des contrats publics héritent de la même licence et appartiennent au gouvernement qui se déciderait de leur utilisation.

Le débat s’est tourné vers l’éventualité de mentionner des sanctions dans la licence ou le décret pour les usages frauduleux des données. Et sur ce point l’expert Open Data propose de mentionner dans le préambule que toute pratique frauduleuse est sujette aux textes de lois liés à la diffamation.

Suite à la présentation des points forts et points faibles de la licence nationale par la directrice de l’Unité d’Administration Électronique, il a été évoqué le risque d’incohérence entre des licences internationales comme ODBL – qui présente un niveau de détail relativement considérable – surtout pour les cartes usant de fond Openstreetmap que les ministère et les agences exploitent déjà avec la licence nationale. Est-ce que la seule mention d’adaptabilité à la fin de la licence suffit à se prémunir contre les interférences ? De même l’homologation des licences pourrait être un champ fertile à la remontée des restrictions si on ne précise pas explicitement les exceptions homologables. En dépit des lacunes de la licence actuelle, il serait opportun d’exploiter son potentiel dans la limite du possible et de veiller à la développer progressivement.

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