LA DIFFICILE IMPLICATION DES FEMMES EN POLITIQUE

La politique se définit comme une science de gouvernement de la cité.

La politique s’applique à la connaissance des affaires du gouvernement des états.

La plupart des politiciens qui ont fait l’ENA s’imaginent que la politique se traduit par une gestion administrative inspirée du management des grandes entreprises.

La politique, c’est essentiellement la gestion de tout ce qui est commun, tout ce qui est public et d’intérêt commun, ce qui nécessite forcement la présence dans les milieux publics.

Elle se fait dans les réunions, les séminaires, les meetings, les assemblées, et au sein de toute forme de groupement collectif qui s’intéresse aux soucis ou aux réclamations des citoyens. C’est le fait de faire parvenir sa voix, son choix, de discuter avec les autres de tout ce qui touche à votre quotidien.

L’image dominante dans notre société patriarcale, c’est que la femme n’est pas faite pour exercer la politique. Selon les religieux, faire entendre sa voix en soi est mal vu, la hausser est presque un pêché : s’il faut que la femme s’exprime, elle doit le faire à voix basse.

La femme est considérée comme complémentaire à l’homme, une ‘waliya’, une subordonnée, qui nécessite l’assistance de l’homme étant elle-même ‘naqisa’, incomplète ; elle a besoin de soutien et de tutelle, c’est une ‘horma’, un être qui suscite l’envie de tous les hommes, ce qui l’oblige à se cacher, à cacher son corps, sa silhouette, sa beauté, son visage. C’est pourquoi elle devrait rester chez elle et éviter l’espace public et la sphère politique : elle ne peut pas faire partie de la vie politique.

La femme a toujours occupé des fonctions qui sont devenues traditionnellement féminines telles que la santé, l’éducation ou des fonctions informelles qui dans leur majorité s’exercent chez elle, dans la sphère de la famille et dans ses alentours, à savoir les champs et les jardins familiaux, ou comme les activités artisanales tels que la couture, la broderie, la confection des tapis, etc.

La femme a pu dominer le secteur agricole, un secteur où elle constitue plus de 30% de la main d’œuvre active, 74% à Sidi Bouzid, 76% à Zaghouan.

Elle est aussi très présente dans le secteur du textile, dans les manufactures et les usines…

Ces secteurs bénéficient ainsi d’une main d’œuvre abondante mais aussi très exploitée, sur tous les plans (salaire, couverture sociale, conditions de travail, transport…).

Cette situation n’est pas favorable à la présence de la femme dans la sphère politique ou à la possibilité qu’elle s’intéresse à la politique, voire qu’elle ait des postes politiques ou des postes clés dans la république.

En 2011, l’expérience de certaines femmes à l’ANC a montré qu’elles étaient harcelées, objets de plusieurs critiques et de toutes sortes de moqueries pour les pousser à abandonner leur expérience. Certaines ont même été chassées à coup de pierres, chose qui nous ramène à la première expérience d’engagement des femmes de l’UNFT lors de leurs tentatives pour vulgariser les dispositions du Code du statut personnel (CSP) et encourager les femmes à prendre leur sort en main, en ce qui concerne le programme de la santé reproductive, dans les efforts fournis pour leur indépendance économique ou encore pour la lutte contre l’analphabétisme et l’ignorance, trop répandus chez les femmes.

C’est une vision discriminante de la femme qui transparait dans les textes juridiques, notamment autour de la question de la tutelle du masculin en tant que chef de la famille, de la dot, de l’héritage, de la nationalité, de la garde des enfants… L’article 272 du Code Pénal permet l’arrêt de toute poursuite contre l’agresseur du viol par le simple fait de contracter un acte de mariage avec sa victime. Malgré que la Constitution tunisienne de juin 2014, dans les articles 46 et 21, a concrétisé le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et la parité dans les instances élues, la loi électorale qui l’a suivie n’a pas fait preuve de cette volonté du législateur constitutionnel pour concrétiser l’égalité entre les citoyens tunisiens,.

Selon l’Institut National des Statistiques, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux et l’Office de la famille et l’urbanisme, les statistiques de 2014 ont relevé que 6% des femmes sont dans des hauts postes du pouvoir, et que parmi les 49% des femmes dans la fonction publique, seules 0,7% sont dans les positions décisionnelles et 1% dans des postes clés. Seulement 6% des entrepreneurs sont des femmes.

Dans les syndicats, 1% des femmes seulement sont dans des organes exécutifs ; 0% dans les bureaux exécutifs de l’UGTT, la grande organisation syndicale du pays. 64% des femmes vivant dans le milieu rural travaillent dans l’agriculture. Pourtant, 60% des étudiants sont des jeunes filles et le nombre de lauréates est nettement supérieur aux jeunes garçons lauréats.

Les femmes et les jeunes filles continuent à être victimes de violences de toutes sortes. L’Institut National de la famille et de l’Urbanisme, dans son rapport de 2014, a montré que 47%des filles âgées entre 15 ans et 25 ans ont été victimes de violences au moins une fois dans leur vie.

Le rapport du CREDIF a relevé les chiffres suivants :

Malgré le passage de 8 gouvernements en Tunisie depuis 2011, la représentativité des femmes dans ces gouvernements était très limitée :

  • 3 ministres
  • 6 femmes sur 60 postes d’ambassadeurs
  • 1 gouverneure
  • 2 maires
  • Sur 217 parlementaires, 72 femmes pendant les élections de 2011
  • Sur 97 listes électorales, 7 femmes en tête de listes, et 12 en 2014.
  • 3 femmes secrétaires générales de partis politiques.

L’investigation de l’association Let a démontré que 64% des femmes ne sont pas conscientes de leurs droits politiques, de l’intérêt à faire la politique ou de l’exercer. 73% n’ont aucune idée de la mission des communes et des conseils ruraux.

Toutes les études faites après la révolution, qu’elles portent sur le développement, sur le travail informel ou sur le chômage, mais aussi les cartographies réalisées sur l’éducation des enfants ont montré que c’est dans les régions les moins développées et reculées que les femmes sont les plus violentées et les plus écartées de la sphère publique, les plus vulnérables. La mentalité patriarcale ou la domination masculine persistent encore.

Pour changer le paysage de la sphère publique, pour enfin permettre aux femmes de faire de la politique, nous devons changer d’abord les mentalités, radicaliser ‘namatiya’. L’État doit intervenir pour alléger les charges familiales qui incombent aux femmes et aux mères en créant des jardins d’enfants, en changeant les horaires scolaires, en respectant ses obligations, et surtout en luttant contre le travail informel, contre la violence faite aux femmes et aux jeunes filles. Cela doit se faire par l’application des principes de la citoyenneté et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Par l’éradication de l’ignorance et de l’abandon scolaire précaire, le contrôle des espaces qui propagent les idées obscurantistes sous n’importe quel prétexte, la révision de la politique éducative, des livres scolaires et même du discours de certains professeurs ou instituteurs qui vont au-delà de leur mission d’enseignants pour légitimer des pratiques et des coutumes discriminatoires contre les femmes.

Les statistiques nationales ont montré que les femmes travaillent entre 5 et 8 heures supplémentaires par jour en plus de leur travail hors domicile.

On a toujours reconnu en Tunisie que les femmes ont beaucoup fait pour sauver le pays. Reste aux femmes à sauver les leurs, à continuer leur combat contre les idées et les opinions, parfois adoptées par les femmes elles-mêmes, qui freinent leur chemin vers l’égalité et l’investissement des femmes du domaine de la politique.

Radhia Jerbi

Militante pour les droits des femmes et présidente de l’UNFT