LE TRAVAIL INFORMEL: DE L’EXCLUSION À L’INCLUSION SOCIALE

« L’emploi informel concerne la moitié de la main-d’œuvre mondiale et est étroitement associé au manque de travail décent … il est clair que nous devons redoubler d’efforts dans la lutte contre l’informalité sous toutes ses formes et en tous lieux. »

Jose Manuel Salazar- Xirinachs

Introduction

Il n’y a point de notions ou de concepts qui se sont autant emparés des spécialistes tunisiens des sciences sociales après les événements de 14 janviers 2011 que celles de « travail informel », de « secteur informel » et d’ « économie informelle ».

Pourtant ces notions qui n’étaient, ni récentes, ni étrangères à ces analystes, demeuraient largement négligée par les politiques et méconnues par les chercheurs.

Déclenchée « sur fond de protestations réclamant davantage de justice sociale et de créations d’emplois décents en faveur de pans entiers de la population active jusqu’alors exclus des bénéfices de la croissance. Cette agitation sociale se poursuit sans répit et révèle au grand jour l’aggravation de la fracture sociale et le creusement des inégalités économiques. » 2

L’insurrection tunisienne de l’année 2011 a été l’expression d’une protestation sociale spontanée contre le chômage, les inégalités sociales et régionales. Elle était censée corriger ces disfonctionnements sociaux et régionaux en assurant l’emploi aux jeunes et aux femmes en particulier les diplômés parmi eux, et en favorisant un mieux être aux classes populaires et un développement aux régions déshéritées…

Les efforts de reconstruction se sont, davantage focalisés sur les questions la refonte des institutions politiques qu’une nouvelle Constitution devait consacrer que sur l’éradication de l’exclusion, de la précarité et de la pauvreté.

Le développement des événements, après 2011, n’ont fait qu’aggraver tous ces indicateurs. C’est pourquoi, les autorités publiques n’ont pas réussi à calmer l’impatience des travailleurs et des jeunes chômeurs qui s’attendaient à récolter les fruits de leur participation au soulèvement. Cette impatience s’est vite transformée en une vaste vague de protestations sociales : grèves, set in, occupations d’usines, manifestations… Ces mouvements sociaux étaient concomitants au désordre sécuritaire qui s’est peu à peu emparé du pays.

Ce qu’il faut souligner, c’est que ces événements se déroulaient à un moment où l’organisation politique (l’Etat) de la société était fortement affectée par l’insurrection. Autrement dit, l’instance qui assurait la régulation de l’ordre social et commandait le système d’autorité, était fortement déstabilisée. En conséquence, les valeurs d’autorité, d’hiérarchie et de discipline se trouvaient ébranlées.

Cette période de transition à été fortement marquée par une poussée exceptionnelle de l’économie informelle, corollaire d’un affaiblissement de l’Etat et de l’ébranlement de son autorité.

En conséquence, les acteurs sociaux et politiques manifestaient tant d’intérêts à ces notions de travail et d’économie formels et en font de plus en plus un grand usage pour tenter de comprendre la situation qui prévaut.

Nous tenterons dans ce qui suit de cerner l’état des lieux des débats théoriques sur ces notions de travail informel et d’économie informelle, de définir leurs contenus, de délimiter les approches conceptuels qui président à leur fonctionnement et de retracer les facteurs qui sont à l’origine dans leur l’émergence.

Aussi, Nous essayons, de saisir l’ampleur et la signification du travail informel dans l’économie tunisienne et d’analyser leur rapport avec la question de la couverture sociale et du développement économique.

I- Définitions et les approches

Ces notions de travail informel et d’économie non structurée ont vu le jour à l’orée des années soixante six. Depuis, ces notions ont connu tant de changements tant dans leur contenu que dans les approches théoriques utilisées pour les appréhender. C’est pourquoi, nous tenterons à travers le retraçage de l’itinéraire des débats définir ces notions et saisir les approche qui s’y associent.

En effet, les années soixante dix marquaient un retournement de perspectives. Tous les chercheurs et acteurs politiques qui s’attendaient à ce que l’adoption des politiques d’industrialisation peu créatrice d’emplois, qui se substituaient aux politiques agraires volontaristes, allaient déboucher sur une crise massive de chômage. Or, Les enquêtes3 sur l’emploi réalisées par le « Bureau International du Travail (BIT) », et par le « Programme Mondial de l’Emploi » découvrent que cette main-d’œuvre, principalement issue de l’exode rural, mais pas uniquement, s’occupait et tirait sa subsistance dans ce que l’on convint d’appeler « le secteur informel ou non structuré ».4

Expliquer pourquoi et comment l’absence de création d’emploi dans le secteur moderne n’avait pas débouché sur une augmentation insoutenable du chômage, c’est inventer ou plutôt enraciner la notion de travail informel en tant que catégorie majeure pour l’analyse des marchés du travail dans les pays en développement.

L’émergence des notions de travail et d’économie informels n’était nullement fortuite. Elles se sont révélées, lors d’une conjoncture spécifique et conséquemment à des pratiques d’investigation bien définies.

Les notions d’économie et de travail informels qui recelaient en tant que catégories économiques un grand potentiel opératoire permettant de rendre compte des activités dans des domaines de l’emploi et de la production et des services, étaient ignorées par les démarches analytiques classiques. Aussi, les statistiques, les Comptes Nationaux et la Planification n’accordaient-ils aucun intérêt à ce secteur de l’activité économique.

Quant à la Tunisie du début des années soixante dix, elle était traversée par de graves mutations économiques et sociales : L’abondan de la politique étatiste des coopératives et l’adoption d’une politique libérale d’industrialisation peu créatrice d’emploi ont déclenché et amplifié un exode rural massif et suscitaient tant de soucis et d’inquiétudes quand à la question de chômage et de l’emploi.

C’est pourquoi les chercheurs tunisiens se sont penchés sur l’étude de ces phénomènes et ne sont pas restés à l’écart de ces courants de recherche5.

Dès le début des années 1970, de nombreux travaux d’investigation ont porté sur la question de l’emploi en Tunisie. J .Charmes qui est une figure pionnière de la recherche sur le travail informel a réalisé en Tunisie et depuis le début des années soixante dix, de nombreux investigations et enquêtes sur la question de l’emploi du travail informel. Dans un excellent article intitulé « Secteur non structuré, politique économique et structuration sociale en Tunisie 1970-1985 »6 publié en 1987, Il retrace un tableau exhaustif de la recherche sur cette question en Tunisie.

« La notion d’économie informelle fut employée pour la première fois dans une étude de Keith Hart (1973) sur le Ghana dont les résultats furent présentés dès 1971. Le Bureau international du travail (BIT) reprit le terme dans un rapport publié en 1972 sur la situation de l’emploi urbain au Kenya dans le cadre du Programme mondial de l’emploi lancé en 1969. Le concept d’économie informelle prend naissance. ». 

Dès sa découverte par Keith Hart [1972], le concept d’emploi informel portait en lui-même les germes des débats ultérieurs qui n’ont cessé de se poursuivre depuis lors

1- État des lieux d’un débat

A examiner de près les travaux sur les notions d’économie et du travail informels, l’on se rend compte que le mérite revient à l’Organisation International du Travail qui a, non seulement, déclenché ces débats, mais elle les a surtout encadré7 et ce à travers ses deux instances :

  1. La Conférence Internationale du Travail8.    
  2. La Conférence Internationale des Statisticiens du Travail9.

Au cours des ces quatre décennies, les notions de l’économie informelle et du travail informel ont fait l’objet de recherches et de débats politiques importants et la compréhension de leurs dimensions a considérablement évolué depuis l’ancien terme restrictif de «secteur informel». L’adoption d’une définition internationale du « secteur informel » lors de la Conférence Internationale du Travail en 1993 par le B. I. T a inauguré un tournant décisif. Ainsi, contrairement aux allusions de Keith Hart en 1970 relatif aux opportunités de revenus informels, la définition du B.I.T se référait dès l’origine aux entreprises informelles.

Le secteur informel est défini comme étant l’ensemble des activités économiques qui se réalisent en marge de la législation en vigueur. Autrement dit, l’ensemble de ses activités économiques échappent à toute régulation de l’Etat.

Autant, cette distinction permet d’identifier les activités d’économie informelle de celles de l’économie formelle ; autant elle passé sous silence celles de l’économie traditionnelle. Toutefois, ce qui mérite d’être souligné, ce sont l’inégales dynamisme entre les différentes activités de l’économie informelle : celles pouvant atteindre un niveau d’accumulation du capital suffisant pour leur permettre d’intégrer l’économie formelle (secteur évolutif) ; celles qui ne sont que des activités de survie à court terme (secteur involutif).

La crise économique qui sévit conséquemment aux politiques d’Ajustements Structurels (les années quatre vingt) et de la mondialisation néolibérale(les années quatre vingt dix), a débouché sur le développement du chômage urbain. Le rejet de ces populations actives par le secteur formel s’accompagne de l’émergence et de l’essor du secteur informel. « Le secteur informel joue un rôle d’adoption des migrants et un rôle d’accueil des agents économiques exclus du secteur officiel. ». En outre, la baisse de plus en plus forte du pouvoir d’achat des salariés exerçant dans le secteur moderne incite les ménages à rechercher des revenus complémentaires dans le secteur informel pour augmenter leur pouvoir d’achat.

Le débat a rebondi avec les discussions actuelles sur les concepts d’emploi informel et d’économie informelle qui ont été des thèmes centraux de la Conférence Internationale du Travail de Juin 2002 et ont fait l’objet de nouvelles définitions et recommandations lors de la dernière Conférence Internationale des Statisticiens du Travail en 2003.

Les théories qui voyaient l’économie informelle comme un phénomène temporaire qui disparaîtrait avec le développement économique, ont fait place à des points de vue plus nuancés vu sa croissance et sa persistance dans les pays en développement – et même dans les pays développés.

La Résolution concernant le travail décent et l’économie informelle de la Conférence internationale du Travail de 2002 a constitué une grande avancée en matière d’analyse – en proposant un cadre qui reconnaissait la diversité et l’hétérogénéité des acteurs et activités dans l’économie informelle et en élargissant la compréhension de ses paramètres. Elle établit que l’informalité existe dans un large éventail de secteurs et, chose importante, qu’elle inclut le travail précaire dans l’économie formelle.10

Cette résolution souligne l’urgente nécessité d’adopter une approche intégrée et globale, reposant sur les quatre piliers du Travail décent (création d’emplois, droits, dialogue social, protection sociale), afin d’atteindre l’objectif de sortie de l’informalité.11

2- Approches Théoriques

Pour saisir la portée de la notion d’économie informelle, il est intéressant de d’analyser les apports des différentes approches théoriques de l’économie informelle, ainsi que les différentes interprétations de l’informalité.

Plusieurs auteurs (Odile Castel12 et François Bourguignon13) ont tenté de cerner les approches qui prévalent dans les recherches sur l’économie informelle. Leurs apports sont résumés par les experts du B.I.T dans le document intitulé :

« Economie informelle et travail décent : Guide de ressources sur les politiques, soutenir les transitions vers la formalité »14

Il est à signaler que le débat sur la question de l’excédent de main-d’œuvre en présence d’un secteur moderne (les industries capitalistes) remonte à 1950, lorsqu’A. Lewis élabora sa « théorie dualiste » du développement. Celle-ci préconisait que le surplus de main-d’œuvre du secteur dit traditionnel serait progressivement absorbé par le secteur industriel moderne à mesure que celui-ci se développerait. Le secteur dit «traditionnel» est également considéré comme marginal et sans lien avec l’économie formelle.

Au début des années 1970, l’anthropologue Keith Hart observa à partir de ses recherches sur le Ghana que non seulement le «secteur informel» avait persisté, mais qu’il s’était également développé. Le B.I.T analysa systématiquement les activités de ce secteur en faisant remarquer qu’ « elles n’étaient pas reconnues, pas enregistrées, pas protégées et pas réglementées. »15 . Tout en soulignant qu’il incluait un éventail d’activités allant du « travail marginal pour survivre aux entreprises rentables. »16

Le débat sur la nature et les fonctions du secteur informel donnèrent lieu à des approches qui l’appréhendent soit comme une caractéristique des économies précapitalistes, soit comme activité inhérente au capitalisme:

l’approche     « dualiste » s’inscrit dans le prolongement des travaux de W.     Arthur Lewis (1954) et de Harris-Todaro (1970) ; cette approche est     basée sur un modèle de marché du travail dual, où le secteur     informel est considéré comme une composante résiduelle de ce     marché n’entretenant pas de lien avec l’économie formelle ;     c’est une économie de subsistance qui n’existe que parce que     l’économie formelle est incapable d’offrir des emplois en     nombre suffisant ; (Nihan, 1980 ; Charmes, 1990 ; Lachaud,     1990).
   

  • l’approche « dualiste » s’inscrit dans le prolongement des travaux de W. Arthur Lewis (1954) et de Harris-Todaro (1970) ; cette approche est basée sur un modèle de marché du travail dual, où le secteur informel est considéré comme une composante résiduelle de ce marché n’entretenant pas de lien avec l’économie formelle ; c’est une économie de subsistance qui n’existe que parce que l’économie formelle est incapable d’offrir des emplois en nombre suffisant ; (Nihan, 1980 ; Charmes, 1990 ; Lachaud, 1990).
  • L’approche légaliste (Hernando de Soto) croyait que le secteur informel était constitué de micro entrepreneurs qui essayaient d’échapper aux coûts et aux responsabilités d’un enregistrement formel. Les juridictions complexes et coûteux étouffent l’entreprise privée et la poussent dans la clandestinité (protectionnisme, mesures légales, bureaucratie excessives, rigidité des salaires…). Cet ensemble de mesures permet le maintien de barrières à l’entrée au marché ce qui l’empêchent de fonctionner de manière compétitive.  Pour échapper à ces entraves, l’esprit d’entreprise, se déploie à la marge des règles légales, afin de contourner ces barrières à l’entrée. De Soto et d’autres ont pris fait et cause pour les droits de propriété en tant que moyen de convertir le capital détenu informellement en fonds propres.
  • L’approche structuraliste (Alejandro Portes). Contraire à ces approches néoclassiques et libérales, l’approche  structuraliste souligne les interdépendances entre les secteurs informel et formel (Moser, 1978 ; Portes et al., 1989) ; le secteur informel s’intègre dans le système capitaliste selon une relation de subordination ; en fournissant du travail et des produits à bon marché aux entreprises formelles, le secteur informel accroît la flexibilité et la compétitivité de l’économie.

Ainsi, depuis plus de 40 ans,  malgré la prolifération  des contributions empiriques et descriptives et la diversité des apports théoriques,  l’On observe donc que les activités que recouvre la notion d’économie informelle sont très hétérogènes, ne permettant plus à cette catégorie sémantique de fonctionner comme un concept. D’autant plus qu’il existe un décalage grandissant entre les études empiriques et leur soubassement théorique. 

Il en a découlé  qu’actuellement, on utilise la notion d’économie informelle pour désigner les activités licites non déclarées dans les pays du Sud, le travail au noir et les ateliers clandestins dans les pays du Nord (Adair, 1985), l’échange de services, la contrefaçon, le commerce équitable et les trafics de drogues et d’armes (Gourévitch, 2002)).

 La diversité et l’hétérogénéité du contenu que recouvre la notion d’économie informelle sont telles que cette catégorie sémantique ne peut pas fonctionner comme un concept.

La littérature présente l’économie informelle soit comme résultant de l’inefficacité de la réglementation administrative et de la pression fiscale, soit comme constituant une forme de concurrence déloyale et une prime à la fraude conduisant à une ponction sur les ressources budgétaires de l’Etat.

Il est le plus souvent présenté comme un facteur limitant la croissance, pour un niveau de pression fiscale et réglementaire donné. 

III- Ampleur et signification du secteur informel tunisien

Le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s’est accompagné de l’émergence et de l’essor du secteur informel. Celui-ci  joue un rôle d’accueil des migrants et des agents économiques exclus du secteur officiel. C’est une question de survie de ces populations refusées par le secteur formel.

En effet,  la Tunisie a connu un accroissement spectaculaire du secteur  informel. Il a pris une telle ampleur dans les années récentes qu’il en vient à rattraper en dimension le secteur formel. De fait, une enquête récente de l’INS montre que l’emploi informel représente 42% de l’emploi total, en absorbant une main d’œuvre très importante principalement dans le commerce et les services.

Dans le cas de la Tunisie, le secteur informel est défini en utilisant les critères relatifs au statut juridique de l’unité, à la taille de l’entreprise en termes d’effectifs de salariés et à la tenue d’une comptabilité de l’entreprise, de façon à ce que le secteur couvre les entreprises ayant les caractéristiques suivantes : 

  • Statut juridique : personnes physiques, 
  • Employant moins de 6 salariés, 
  • N’ayant pas de comptabilité. 

Juridiquement, selon le critère « illégal/légal », le secteur informel se définit comme étant l’ensemble des activités irrégulières dont l’exercice illégal constitue une fuite devant les normes fiscales, la législation du travail et le droit commercial. Autrement dit, cela correspond à des activités interdites par la loi ou des activités légales en elles-mêmes mais exercées par des personnes non autorisés à le faire. Il s’agit en définitive de produire des biens et services par des entités illégales. Cependant, il peut également s’agir d’activités légales assurées par des personnes autorisées à le faire, mais qui ont des caractéristiques permettant de les classer dans le secteur informel : 

Ces caractéristiques concernent: le non- paiement de l’impôt sur le revenu, de la TVA et des autres taxes et impôts, le non-versement des cotisations sociales, et la non-soumission à certaines procédures administratives. 

Indépendamment de ce critère juridique, le secteur informel tunisien se compose d’une multitude de micro-entreprises commerciales ou de production de biens et de services, ayant une taille moyenne (patron inclus), comprise entre 2,4 et 3,6 (en équivalents-temps plein). Généralement, ce sont des unités indépendantes ou à caractère familial en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées.

Elles ont un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations d’emploi, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les liens de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme.

Trois grands moments  forts ont ponctué l’émergence et développement du secteur informel :

1- La décollectivisation des coopérative en1969 :

La dissolution des coopératifs s’est opérée dans uns contexte de crise économique généralisée qui s’est accompagnée par un double mouvement d’un coté une concentration des terres entre les mains des gros propriétaires fonciers de l’autre exclusion des paysans de leur terre et leur contrainte au chômage et à l’exode rural.

 « La principale bénéficiaire, disions-nous, de l’arrêt de la réforme agraire, fut la bourgeoisie terrienne tunisienne. Cette couche sociale, grâce à l’aide technique et financière de l’État, est en train de consolider et de moderniser ses entreprises : elle est d’ailleurs en symbiose avec la classe politique qui investit elle-même de plus en plus dans le commerce, l’industrie, le tourisme et la terre. Il se reconstitue ainsi une sorte de bourgeoisie nationale homogène de type capitaliste, intégrée directement au système mondial.  Il reste les petits paysans, avec ou sans terre, que le secteur moderne,
privé, public, ou coopératif, refuse maintenant d’intégrer. La culture se concentre entre les mains des possesseurs de matériel et de capitaux qui sont les seuls à recevoir une aide de l’État. Le petit paysan en est réduit au sous-emploi à la campagne, au chômage urbain ou à l’émigration vers la France ou
l’Allemagne, qui prend des proportions importantes depuis 1969. »
 

Cette  exode rurale en provenance des régions rurales de l’Ouest de la Tunisie est à l’origine du développement fulgurant de la  périphérie du grand Tunis d’où l’émergence de nouveaux quartiers périurbains tels les cités Ettadhamen,  Mnihla, Douar Hicher. Ce processus est  identique à celui qui a donné naissance  aux quartiers d’El Malassine et Jebel Lahmar en 1930.

2- Programme d’Ajustement Structurel : 

Mise en œuvre en 1985-86 avec la collaboration de la Banque Mondiale et de la Fonds Monétaire International, la stratégie  du Programme d’Ajustement Structurel a consisté à réorienter la politique économique vers la réduction du secteur public au profit du marché. Ce recentrage s’est traduit par des effets  pervers : la privatisation d’entreprises publiques et  la dissolution de certaines d’elles. 

La politique d’austérité exercée au niveau de la Fonction publique a conduit à l’arrêt du recrutement des effectifs voire leur diminution. De même que la politique de rigueur budgétaire exercée au niveau social, elle  s’est révélée par des rétrécissements de la  couverture sociale et des transferts sociaux. Les secteurs de la santé et de l’éducation ont été les plus touchés et se sont transformés en des services de plus en plus marchands.

La  précarisation de l’emploi que renforcent la flexibilisation suite aux réformes du Code du travail, a multiplié les emplois occasionnels exercés par n nombre de plus en plus important de chômeurs avec ou sans expérience professionnelle, l’accroissement des activités secondaires et des emplois temporaires dans les grandes entreprises… etc. 

 « Ainsi, la tendance au désengagement de l’Etat suite aux mesures de libéralisation, de privatisation, et de déréglementation font que le rapport salarial est appelé à être de moins en moins institutionnalisé, et ce à différents niveaux… et donc au gonflement du nombre d’agents opérant dans le secteur informel. »

La politique d’ajustement et le coup d’arrêt porté aux investissements dans le secteur moderne ont provoqué un changement radical d’attitude : on a fait du secteur informel un secteur capable de se développer et de créer des emplois à la place du secteur moderne.

La confiance soudaine accordée à ce secteur marque un retournement politique important qui semble coïncider avec le succès des idées néolibérales. On a considéré l’État comme le premier responsable de la stagnation du secteur informel en raison des règlements et des pratiques administratives.

3- Libéralisation de l’économie :

La signature de l’Accord d’association avec l’Union Européenne en Juillet 1995 déclenche  le démantèlement progressif des barrières douanières qui s’étale de 1998 à 2008. En outre, l’encouragement de l’implantation d’industries manufacturières exportatrices  sous le régime de zones de libre-échange – et  le lancement du nouveau programme de privatisation des entreprises publiques s’opéraient dans une conjoncture internationale dominée par l’euphorie de la mondialisation. Celle-ci affecte la Tunisie, comme si elle relève d’un « ordre naturel » qu’impossible de le  contrer. 

 Cette politique libérale et extravertie a contribué à déstructurer le tissu économique national en le divisant en secteurs concurrentiels bénéficiant, de privilèges exorbitant sous la forme d’incitations diverses (fiscales et autres..) et des secteurs fragilisés parce que délaissés. 

Cette politique n’a pas permis d’augmenter significativement l’investissement productif et la création d’emplois. Elle  n’a pourtant pas réussi à dépasser le stade d’une économie à basses qualifications et bas salaires. Le chômage continue à croitre et prend de nouvelles dimensions tant au niveau de la quantité que de la qualité. Au delà des catégories traditionnelles, chômage  touche de nouvelles : les catégories des diplômés. En effet, le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est ainsi en augmentation depuis plusieurs années. Alors qu’il était de 4 % en 1997 et de 0,7 % en 1984, il atteint « un taux de chômage de 20 %, contre une moyenne nationale de 14 %, le phénomène des diplômés chômeurs en Tunisie est de plus en plus difficile à contenir. De 1997 à 2007, leur nombre a été multiplié par trois (passant de 121 000 à 336 000), et dans certaines filières, le taux de chômage frôle les 60 %»  

Cette mutation traduit une inadéquation structurelle entre la demande du marché du travail orientée vers un personnel non qualifié et une offre de plus en plus importante de personnel qualifié. 

La plupart des emplois crées par l’économie l’ont été dans des activités à basse valeur ajoutée et principalement dans le secteur informel, avec des salaires bas et sans aucune sécurité d’emploi, ce qui ne correspondait pas aux aspirations d’un nombre de plus en plus grand de diplômés universitaires.

La prolifération du secteur informel est une conséquence de l’incapacité du secteur capitaliste dépendant de répondre aux besoins fondamentaux de la population dans les domaines de l’emploi, de la santé, du logement et de l’éducation. La baisse de plus en plus forte du pouvoir d’achat des salariés exerçant dans ce secteur incite les ménages à rechercher des revenus complémentaires mais aussi  des biens et des services à bas prix.

La politique économique libérale a, en outre,  aggravé le déséquilibre régional. La plupart des investissements privés était attirée par le secteur off shore orienté sur l’exportation et donc principalement installé le long des côtes, proche des infrastructures nécessaires pour l’export. Les investissements publics se sont aussi déplacés vers les côtes et donc la qualité des services publics et des infrastructures est restée plus basse dans les régions de l’intérieur du pays. Les taux moyens de pauvreté sont restés quatre fois plus élevés dans l’intérieur du pays que dans les riches zones côtières.

 « Pour rendre la situation pire encore, le large faisceau de réglementations associé à une intervention omniprésente de l’Etat a facilité le développement de la corruption et du copinage, qui ont fait que les opportunités n’étaient pas les mêmes pour tous. Le copinage et la corruption sont devenus de plus en plus  flagrants et ceux qui étaient au pouvoir détournaient de plus en plus souvent les règles pour servir leurs intérêts. » .

Il en résulte que, ces dernières années, les nouveaux chômeurs sont  principalement des jeunes et des personnes instruites, ce qui explique leur grand mécontentement social et leur forte participation au soulèvement contre la dictature. 

IV- Protection  sociale et travail  informel

Certes, des avancées notables ont été réalisées au niveau des réformes politiques. Les libertés démocratiques sont aujourd’hui une donnée incontournable. L’adoption d’une Constitution démocratique témoigne de cette avancée. Toutefois,  les grands problèmes économiques et sociaux à l’origine de ce soulèvement demeurent inchangés, quand ils ne se sont pas aggravés : inégalité sociale et régionale, chômage, protection sociale   défaillante…etc.

« La liberté dans le dénuement et la précarité perd toute sa substance et crée malencontreusement des perceptions ambivalentes de la part des uns et des autres envers l’édifice démocratique en construction. »

La période de transition actuelle est marquée par une poussée inégalée de l’économie informelle, celle-ci est le corollaire de l’affaiblissement de l’Etat et de l’ébranlement de son autorité. L’émergence de l’économie parallèle est la conséquence de la fraude fiscale et l’absence de protection sociale..

La protection sociale englobe les garanties suivantes :

  1. La sécurité de revenu, sous forme de différents transferts sociaux (en espèces ou en nature), notamment les pensions pour les personnes âgées et les personnes handicapées, les prestations pour enfants, les droits de maternité, les prestations à titre de soutien au revenu et/ou les garanties et les services d’emploi pour les sans emploi et les travailleurs et travailleuses pauvres ; 
  2. L’accès universel à prix abordable aux services sociaux essentiels dans les domaines de la santé, de l’eau et de l’assainissement, de l’éducation, de la sécurité alimentaire, du logement et de tous autres services définis en vertu des priorités nationales.

Le socle de protection sociale consiste en un ensemble de droits fondamentaux et de transferts en matière de sécurité sociale destinés à promouvoir les droits humains et à soutenir des niveaux de vie décents de par le monde. Les socles de protection sociale ont pour but d’étendre l’aide et la protection de base à toutes les personnes se trouvant dans le besoin.

Dans ce contexte, il est extrêmement important de faire la distinction entre une approche de protection sociale (basée sur des droits) et une approche de flet de sécurité sociale (basée sur des programmes de secours temporaires), de même que de veiller à ce que la protection  sociale soit intégrée dans la stratégie de développement à long terme de chaque pays.

Le système tunisien de protection sociale comprend trois volets :

  1. Systèmes d’assurance sociale (CNAM, CNRPS…etc.), fondés sur des cotisations obligatoires.
  2. Aides servies uniquement aux personnes à faible revenu sous la forme d’aides financées par l’impôt.
  3. Des prestations universelles financées par l’impôt et servies indépendamment des revenus ou des ressources.

L’absence de protection sociale est une caractéristique déterminante essentielle de l’économie informelle. Elle est aussi un aspect capital de l’exclusion sociale. Le développement de l’économie informelle a pour conséquence que, des milliers de personnes soit n’ont jamais eu accès aux mécanismes formels de la protection sociale, soit sont en train de perdre les formes de protection globales dont elles bénéficiaient grâce à l’entreprise qui les occupait ou grâce à l’Etat, Or, ce sont les personnes qui relèvent de l’économie informelle qui ont le plus besoin de protection sociale, non seulement en raison de l’insécurité de leur emploi et de leurs faibles revenus mais aussi et surtout parce qu’elles sont plus souvent exposées à des risques graves en matière de santé et de sécurité au travail. Pour beaucoup de travailleurs du secteur informel, le lieu de travail est le domicile, de sorte que ce ne sont pas seulement les travailleurs mais aussi leurs familles, voire leurs voisins, qui peuvent être exposés à ces risques. La qualité médiocre de l’emploi va souvent de pair avec une qualité de vie médiocre.

La Tunisie est restée aux prises avec des inégalités sociales et régionales et ne progresse guère dans la mise en œuvre des réformes économiques nécessaires démocratiques. 

L’on admet qu’il est, de plus en plus nécessaire, d’élargir la notion de protection sociale pour prendre en compte tous les problèmes générés par l’économie informelle. Comme pour les autres déficits de travail décent dans l’économie informelle, ceux qui sont particulièrement défavorisés sous l’angle des droits et de l’accès à l’emploi formel le sont aussi sur le plan de la protection sociale. Ainsi, La notion de travail décent se trouve de plus en plus intimement lié à celle de Socle de Protection Sociale.

Actuellement, les Tunisiens qui n’ont pas accès à un emploi public et qui ne possèdent pas les compétences demandées par le secteur privé formel, n’ont pas d’autre choix qu’une activité informelle. En Tunisie, le système de protection sociale des pauvres souffre de plusieurs problèmes : sa pérennité n’est pas garantie, ses prestations ne sont pas suffisamment ciblées et il ne comporte pas de mécanismes veillant à la transparence ou permettant des stratégies de sortie pour les bénéficiaires. Les dernières estimations en date indiquent que seulement 40 % des bénéficiaires des filets sociaux vivent officiellement sous le seuil de pauvreté national. Les prestations sont plutôt généreuses (elles correspondent souvent à environ 21 % du revenu total), mais les travailleurs peu qualifiés n’y ont pas accès, faute de protocoles clairement définis pour assurer un ciblage précis, et faute de politiques actives pour soutenir les moyens de subsistance et l’emploi.

S’il n’y a pas d’amélioration significative de la coordination institutionnelle du financement et des prestations, le système de protection sociale et d’emploi de la Tunisie ne sera pas en mesure de faire avancer l’inclusion économique et sociale.   

« Le bilan qu’on peut dresser aujourd’hui de la situation, est la faiblesse inquiétante de la couverture sociale dans certains secteurs et également pour certaines catégories sociales, à quoi s’ajoute le constat d’une pauvreté de masse touchant plus de 15% de la population en 2010, ce qui correspond à 1.6 millions de personnes. Cela suscite maints questionnements sur l’efficacité de tout le modèle de régulation sociale en Tunisie.

Seulement 37 % des Tunisiens, sur 11 millions, cotisent pour leur retraite, seulement la moitié de la population est couverte par l’assurance maladie, et il n’y a pas d’indemnités de chômage pour les personnes qui perdent leur emploi. De plus, même si près d’un Tunisien sur quatre (23 %) perçoit des allocations, c’est le cas de moins de la moitié (40 %) des plus pauvres. »

Il est désormais inadmissible d’accepter qu’une frange non négligeable de la population tunisienne demeure toujours mise à l’écart du champ d’une couverture sociale de base comportant une sécurité minimum pour les revenus et un accès aux soins médicaux.

 V- Sortir de l’informalité : Travail décent / travail informel

Nous avons tenté dans ce qui précède, de cerner les phénomènes d’économie et travail informels, d’en définir les concepts et les différentes approches théoriques utilisées pour les appréhender. Aussi, nous avons essayé d’en évaluer l’ampleur de l’économie informelle et  sa signification en Tunisie en axant l’analyse sur la dimension de protection sociale en particulier. Ce travail aussi pertinent qu’il est, demeure, à notre sens, incomplet, s’il n’aborde pas la question, combien stratégique, celle de la sortie de l’informalité ou plus exactement de la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. 

Il est vrai, qu’il ne nous revient pas ici de traiter cette question dans ses détails. Nous n’avons ni le temps ni les moyens. Nous nous contentons d’esquisser une ligne générale en partant de plusieurs expériences réussies dans de nombreux pays en particulier le Brésil, l’Afrique du Sud et les Philippines et  des travaux de la B.I.T et en particulier sa dernière recommandation sur ce sujet.

Les politiques économiques néolibérales qui ont prévalu en Tunisie sous l’ancien régime et la  mauvaise gouvernance qui les accompagnaient, ont fini par engendrer une crise sociale grave qui a emporté ce régime. L’insurrection tunisienne  a  été l’expression d’une protestation sociale contre le chômage, les inégalités sociales et régionales. 

L’image-longtemps défendue par l’ancien régime- d’un pays qui a réussi à conjuguer croissance économique et développement social, n’était, en réalité qu’un leurre. En effet, la croissance économique que la Tunisie a enregistrée durant les deux  dernières décennies, n’a pas été assortie d’un progrès social partagé. L’amélioration des indicateurs sociaux globaux dissimulait une inégalité dans la distribution des revenus : La concentration des fortunes entre les mains d’une poignée de rentiers n’a eu de pendant que l’extension de la pauvreté et de l’exclusion.

Cette injustice sociale était  d’autant plus insupportable, qu’elle était doublée d’une  inégalité régionale. La concentration des investissements, des activités économiques et des services publics dans les zones côtières a accentué la pauvreté  et le chômage notamment celui des jeunes et des femmes, dans les régions de l’intérieur.

L’insurrection de 2011 était censée corriger ces disfonctionnements  sociaux et régionaux  en assurant l’emploi aux jeunes et aux femmes en particulier les diplômés parmi eux, et en favorisant   un mieux être aux classes populaires et un développement aux régions déshéritées…

Les débats qui ont  dominé la scène politique, ont été axés sur des questions culturelles et doctrinaires (identité, modernité,  laïcité…), alors que les questions relatives à la justice sociale, étaient reléguées au second plan. Ces débats reflétaient davantage  les préoccupations d’une élite divisée et coupée du peuple que les attentes réelles des révoltés. C’est pourquoi, l’impatience des travailleurs et des jeunes chômeurs qui s’attendaient à récolter les fruits de leur participation au soulèvement, s’est vite transformée en une profonde consternation puis en une vaste vague de protestations sociales. 

Ce qu’il faut souligner, c’est qu’au moment où  l’activité économique du secteur formel traversait un ralentissement grave et l’organisation politique de la société (l’Etat) était fortement affectée par l’insurrection, l’économie informelle connaissait une prolifération sans précédent.  

Comme nous l’avons montré, l’économie informelle prospère là où sévissent le chômage, le sous-emploi, la pauvreté, l’inégalité entre les sexes et la précarisation du travail. Ceux qui entrent dans l’économie informelle le font par nécessité et pour avoir accès à des activités génératrices de revenus.

L’économie informelle est marquée par de graves déficits de travail décent. La précarité, la pauvreté et la vulnérabilité vont souvent de pair avec l’absence des droits de négociation collective et de représentation. La vulnérabilité est accrue du fait même que ces travailleurs  sont exclus, des régimes de sécurité sociale et des dispositions législatives régissant la sécurité et la santé, la maternité et d’autres domaines de protection sociale.

La croissance économique reste une source d’inégalités, de pauvreté et de vulnérabilité, quand elle n’est pas associée à la justice sociale. La question fondamentale demeure celle de savoir quels sont  les mécanismes par lesquels les bénéfices de la croissance, peuvent ou non se transmettre aux pauvres? Ou plus exactement quels sont les politiques qui sont susceptibles d’intégrer  les activités informelles dans l’économie formelle, notamment des politiques pour la création d’emplois, l’extension de la protection sociale, la promotion des droits au travail, l’aide au développement de l’entrepreneuriat et des compétences, le développement local et le renforcement du dialogue social.

Il est à souligner que, face au dilemme du secteur informel, ilfaut s’attaquer aux causes profondes du mal, et pas seulement à ses symptômes, et ce, au moyen d’une stratégie globale et multiforme.

En effet, de par son ampleur, «  l’économie informelle, sous toutes  ses formes, constitue une entrave de taille aux droits des travailleurs, y compris les principes et droits fondamentaux au travail, à la protection sociale et aux conditions de travail décent, au développement inclusif et à la primauté du droit, et a un impact négatif sur l’essor des entreprises durables, les recettes publiques, le champ d’action de l’Etat, notamment pour ce qui est des politiques économiques, sociales et environnementales, sur la solidité des institutions et la concurrence loyale sur les marchés nationaux et internationaux; »

La facilitation de la transition de l’économie informelle à l’économie formelle devait donc  emprunter le chemin de la réglementation qui vise à enrayer toutes les difficultés qui s’interposent entre la formalité et l’économie informelle. Elle comprend deux volets : l’un juridique l’autre fiscal. 

Ainsi, des mesures d’incitation doivent être promulguées  pour  formaliser les activités et les structures informelles et ce au moyen de la réduction d’impôts, et la création d’emplois destinés en particulier à des groupes vulnérables (jeunes diplômés et femmes…). Des mesures favorisant l’augmentation de la productivité peuvent consister à moderniser le cadre institutionnel et améliorer la formation.   

Cette réglementation, à la fois juridique et fiscale, doit englober un éventail de  mesures :

  1. définir les normes minimales du travail: donner au terme de «travailleur informel» une définition large qui englobe les travailleurs à domicile, les salariés et les travailleurs du secteur non structuré travaillant pour leur propre compte, assurant ainsi une large couverture de l’économie informelle.
  2. reconnaitre les droits fondamentaux aux travailleurs informels : droit à la représentation et à l’organisation syndicale, à la négociation et au dialogue sociales, la promotion de l’égalité et la prévention de la discrimination. 
  3. simplifier les législations du travail et leurs procédures. 
  4. réduire ou supprimer les dépenses occasionnées par l’enregistrement des entreprises auprès des administrations du travail et de la sécurité social.
  5. simplifier les critères, formalités et procédures d’embauche de travailleurs par le biais des agences publiques d’emploi, 
  6. reconnaître les contrats d’emploi indépendamment de la forme sous laquelle ils sont conclus et en acceptant tout moyen de preuve.
  7. Promouvoir les mesures de soutien à l’esprit d’entreprise, à l’acquisition de compétences et au financement; à l’extension de la protection sociale.

  La transition de l’économie informelle à l’économie formelle est
une priorité importante de l’Agenda du travail décent parce que les quatre objectifs stratégiques qui sous-tendent cet agenda (emplois de qualité, la protection sociale, respect des droits au travail, une croissance économique soutenue, durable et partagée), valent pour tous les travailleurs, hommes et femmes, de l’économie formelle et de l’économie informelle. 

Tahar Chegrouche

Sociologue Consultant